TRIBUNE DE GENEVE mardi 12 octobre 2004
ForuMeyrin fête le CERN en jouant au physicien

«Particules accélérées» orchestre une collision de sons et d’images. Interviews.

NIC ULMI

    « Chaque fois que je vais là, ça réveille quelque chose», déclare Vincent Hänni en étirant le cou et en se touchant l’arrière du crâne pour montrer l’endroit où le phénomène prend place. C’est apparemment à cet emplacement de sa boîte osseuse que les souvenirs sont allés se loger. «Mon père a travaillé là trente-cinq ans. J’ai donc pas mal fréquenté la garderie du CERN quand j’étais petit.Ça a forgé une mémoire», insiste-il.
    Répondant à une commande de la curatrice Laura Györik Costas, Hänni est retourné dernièrement au Centre européen pour la physique nucléaire pour en extraire de la matière sonore. Le bruit ainsi récolté, surgi cent mètres sous terre dans le tunnel où prendra place le LHC – le plus grand collisionneur de particules de l’histoire du monde –, a été retravaillé ensuite pour Particules accélérées, manifestation qui célèbre les 50 ans du CERN avec des performances audiovisuelles et des accrochages à ForuMeyrin.
    «J’ai toujours été fasciné par le côté bricolage qui règne là-dedans. Il y a de l’alu, des câbles partout. Ça reste pour moi un lieu chargé d’affect. C’est peut-être pour ça que j’ai commencé à faire de la musique électronique», rêvasse le musicien.
Susy et le protozoaire
    Une vingtaine d’artistes composent l’affiche. Le rapport entre leurs créations et les travaux en cours au CERN – la quête du boson de Higgs qui expliquerait comment la masse vient aux particules, la traque des superparticules formant la matière obscure, la poursuite d’une supersymétrie familièrement appelée Susy – sont ténus, fantasmatiques, essentiellement imagés.
    «Nous avons choisi d’inviter des artistes qui vivent à Meyrin – la commune où le CERN est implanté – ou qui ont fait un passage professionnel au Centre. Nicolas Faure, par exemple, a photographié les entrailles du laboratoire pendant une année. Et Pierre-Philippe Freymond, biologiste et plasticien, y est venu pour des ateliers avec des écoles», détaille la curatrice.
    Freymond s’affiche ici deux fois. Dans l’exposition, vernie aujourd’hui et baptisée «Salon des matières», une de ses photos montre le seuil de ce sanctuaire de la science dure envahi par la touffeur végétale du printemps. Dans sa performance programmée ce soir au «Salon des particules», l’artiste s’amuse avec «un microorganisme du genre protozoaire qu’il a créé lui-même». Que fait la bestiole? «Avec la température et la musique idéales, Freymond arrive à la faire danser.» Les images de cet exploit sont captées et diffusées en direct, tandis que l’électronicien Basile Zimmermann produit les battements et chuintements sonores de ce ballet.

Trous de vers
    Toujours ce soir, la vidéaste Catalina Ramelli et le musicien POL songent aux possibilités vertigineuses ouvertes – du moins théoriquement – par les «trous de vers», ou QUARK SPINs, anomalie physique qui permettrait de se téléporter instantanément n’importe où en passant par des boyaux creusés dans un univers parallèle. Jodie Foster s’y faufilait en combinaison spatiale dans le film Contact.

Ulrich Fischer, documentariste qui sonde les profondeurs du CERN en spéléologue, complète l’affiche ce soir.
    Lundi 25, Vincent Hänni fera murmurer ses machines avec le graphiste Dimitri Delcourt. Que fait ce dernier? «J’envoie des particules contre une surface, j’en calcule le débit, je regarde ce qui se passe quand elles s’entrechoquent. Exactement ce qu’on fait au CERN.» Les pixels projetés contre un écran remplacent ici les protons et les chaînes d’accélérateur du laboratoire nucléaire.
    La métaphore atomique court également dans le discours de Vincent Hänni, adepte depuis quelques années d’une technique sonore appelée synthèse granulaire. «J’extrais des grains d’un fichier sonore. On peut ainsi penser le son comme une particule plutôt que comme une onde», explique-t-il avec un geste qui rappelle la pose d’une pince à linge sur un étendoir.
    Sur scène, Hänni rappelle un laborantin qui transvaserait ses sons en boucle d’une éprouvette à l’autre, accumulant les parasites, les scories, les impuretés. «Souvent, dans les concerts à l’ordinateur, on a l’impression que les mecs relèvent leurs e-mails ou qu’ils font de la compta. Pour moi, au contraire, c’est un peu comme mettre une casserole sur le feu avec du lait dedans. Le risque que ça déborde est toujours là. J’aime avoir le trac et mouiller ma chemise.»


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