Le Temps
05.07.2012
Le flux de Steve Reich s'étend sur La Bâtie
Le DJ et producteur genevois POL et le collectif Eklekto revisitent la pièce «Drumming». Rencontre avec un aventurier des sons électroniques
par Rocco Zacheo
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La première journée de répétition s’achève sur une phrase qui dit le chemin à parcourir. «Il faut dormir dessus», lance un percussionniste. Tout le monde semble acquiescer. Les lumières s’éteignent, les cinq musiciens quittent alors le Studio Ernest-Ansermet, à Genève, les traits marqués par des partitions exigeantes qu’ils ont potassées avec insistance pendant des heures. L’ombre de Steve Reich a longtemps plané entre les murs boisés qu’ils laissent derrière eux. Avec une œuvre majeure, Drumming, accomplissement raffiné et complexe de la technique du déphasage chère au compositeur allemand, maître de la musique répétitive.
Le DJ et producteur genevois POL et le collectif Eklekto se sont emparés du chef-d’œuvre pour transfigurer, tordre et remodeler une partie de ses formes. Ils en ont fait du coup une création, Drumming by Numbers, qui constitue un des points d’orgue du volet musical du festival La Bâtie. Ce dimanche soir, tout le chemin de préparation sera achevé: le lever de rideau dévoilera alors le résultat d’une démarche insolite. A quelques jours de ce spectacle attendu, POL – Christophe Polese à la ville – ne cache pas la tension. Il enchaîne les cigarettes roulées et abandonne sa jambe à un mouvement rapide et saccadé. Mais il se dit pourtant soulagé: «Je suis habitué à travailler tout seul et à avoir le contrôle sur tout le processus de création. J’évite l’essentiel des collaborations qui me sont proposées mais, sur ce projet, tout se passe bien, on s’est compris d’entrée et cette première répétition s’est révélée très fructueuse.»
L’entente est une manne bienvenue, on le devine. Car l’œuvre au menu résisterait sans doute très mal aux incompréhensions. POL le sait. Des cinq musiciens embarqués, il a été le premier à travailler sur Drumming. Un jour, le programmateur de La Bâtie, Philippe Pellaud, lui a passé commande; le producteur a été séduit par le projet et il s’y est plongé en employant des moyens qu’il maîtrise depuis longtemps. «Au départ, j’ai fait des échantillons de certaines phrases de l’œuvre, depuis un CD, tout simplement. J’ai élagué ensuite certains détails et j’ai composé enfin d’autres parties à l’ordinateur, en adoptant à mon tour la technique du déphasage. Puis j’ai transmis les fichiers sonores à Eklekto.» Sur scène, les premiers fruits du travail en amont sont déjà probants. Munis d’une oreillette qui dicte le tempo, les percussionnistes s’affairent à leurs marimbas et aux glockenspiel; ils se regardent parfois, ils comptent beaucoup pour ne pas se perdre et se retrouvent toujours grâce aux chiffres. La démarche a fini d’ailleurs par inspirer le titre de la création. POL, lui, manie l’ordinateur, où il retrouve ses bases rythmiques et mélodiques. «Ma chance, je la mesure aujourd’hui, alors que je viens de rencontrer pour la première fois les quatre percussionnistes. Je suis entouré par des virtuoses très curieux. Ils ont l’esprit ouvert à des démarches peu orthodoxes. Drumming by Numbers en est une, et elle ne manquera pas d’irriter les puristes de la musique contemporaine, j’en suis certain.»
L’approche est décomplexée. Sans doute parce que POL se refuse aux chapelles musicales et qu’il trace depuis des années des diagonales à travers les parcelles petites et grandes de l’electro. Il s’est nourri de musique industrielle à l’adolescence: Einstürzende Neubauten, Front 242, Skinny Puppy et les Romands Young Gods ont façonné ses goûts et suscité une vocation. «A 16 ans j’ai acheté mon premier échantillonneur. Une grosse machine, très lourde et encombrante, avec laquelle j’ai bricolé en autodidacte les premiers sons.» Plus tard, dans les années 1990, il est dans les rangs d’un collectif qui a marqué la scène romande, MXP. D’autres expériences suivront, aux côtés notamment de Waterlilly, avec qui il enregistre un album et des maxis. Ses autres artistes incontournables? Ils se nomment Brian Eno ou John Cage.
Dans sa vie musicale, il n’y a eu qu’une pause, longue de deux ans. Il l’a consacrée au démarrage de l’espace Artamis et à la réalisation de quelques projets qui en ont marqué l’histoire: une radio sur le Net, une salle de jeux électroniques vintage… L’envol en solo arrivera en 2006. Depuis, POL a signé deux albums et prépare le dernier de ce qui constituera une trilogie. Sa fierté? «Etre parvenu, à 42 ans, à vivre de ma musique.» Avant de partir, un dernier mot; il est pour le rêve resté caché dans le tiroir: «J’aurais voulu être bédéaste. Mais je ne sais pas dessiner…»
POL et Eklekto, «Drumming
by Numbers», di à 20h,
Studio Ernest-Ansermet, Genève. Rens. www.batie.ch
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